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La genèse du projet

Il décida donc de reprendre le problème à sa racine, et conçut un nouvel objectif, non pas par empirisme, mais à partir des données scientifiques que lui proposait l’optique géométrique à son époque. La variété de verres disponibles était très restreinte, et ne comportait que des crowns et flints dits « ancien »  [6] . Ils permettaient de résoudre, au moins partiellement, le problème du chromatisme.

Ce n’est pas que ce dernier affectât en quoi que ce soit l’image finale, car le daguerréotype n’est pratiquement sensible qu’à une faible bande spectrale située dans le violet et l’ultraviolet, mais l’emploi d’une optique non corrigée chromatiquement oblige à retoucher systématiquement le tirage de la chambre, l’œil mettant instinctivement au point sur l’image jaune  [7] . Pour être commode, l’objectif devait au moins réunir les images jaunes et bleues dans un même plan focal. Il lui restait les paramètres des cambrures et les épaisseurs. Apparemment, il ne tint pas compte de l’épaisseur des verres, ne considérant que des lentilles dites « minces » au sens optique du terme.

Comme il ne disposait d’aucune documentation technique sur la question, et pour cause, la somme de calcul s’annonçait énorme. Il demanda donc de l’aide à la Cour Impériale, et obtint l'aide de neuf aspirants officiers artilleurs, rompus au calcul numérique, pour l’aider dans son entreprise. En ce sens, il fut le premier, à ma connaissance, à avoir concrétisé les conditions industrielles de réalisation d’un objectif au sens moderne du terme, soit :

  • Une étude préalable avec un cahier des charges et des délais,
  • la collaboration d’un bureau d’étude, d’un atelier et d’un fabriquant
  • Une commercialisation à grand échelle dans un « système » photographique.

Petzval calcula deux objectifs possédant le même doublet avant, et des groupes « arrières » différents. L’un était destiné au portrait, de faible angle de champ mais très lumineux, le second au « paysage » [8] , moins ouvert, mais de meilleure couverture. C'était une sorte d’objectif universel à arrière interchangeable. Comme seul celui à grande ouverture était l’objet du contrat, il n’insista pas sur ce perfectionnement. Il laissa d’ailleurs tous les plans quand il vendit son invention à Voigtländer en 1842 pour 2000 florins (gulden), et tous deux oublièrent ce second objectif, jusqu’au jour où Petzval entreprit de le faire fabriquer par quelqu’un d’autre bien plus tard.


Figure 4 : Daguerreotype représentant Peter von Voigtlander ( 1812-1878 ).
http://www.spartacus.schoolnet.co.uk/DSfarmervoigt.jpg

Toujours est-il qu’en mai 1840, il présenta à Voigtländer le plan d'un prototype, que ce dernier réalisa sans difficulté. Petzval n’était pas seulement en calculateur d’exception, mais aussi un technicien réaliste et efficace ! L’objectif ouvrait à f/3,7 possédait une focale de 150 mm. Il se révéla excellent, malgré un forte courbure d’image. Petzval était quant à lui déçu, car il pensait avoir résolu ce problème grâce à ses analyses mathématiques. Il avait découvert une certaine somme algébrique [9] qui, si elle était annulée, signifiait  que la courbure d’image l’était aussi. Malheureusement, la formule n’est qu’approximative, et ne vaut que pour le centre du champ.
Quelques retouches suffirent pour parfaire l’objectif, qui fut rapidement mis en fabrication.



Figure 5 : Chambre métallique Voigtländer munie de son objectif Petzval
 et de son cône de mise au point à loupe.
http://www.ted.photographer.org.uk/cameras/voigtlander_petzval.jpg

L’objectif fut très rapidement reconnu comme le plus lumineux (seize fois plus que celui d’origine) et le meilleur de sa catégorie, au moins au centre.  Á l’origine, il était dépourvu de diaphragme [10] , et monté par Voigtländer sur une chambre métallique d’une excellente facture spécialement prévue pour lui, et présentée dans un somptueux écrin. Le concept commercial « d’appareil de précision luxueux et hors de prix d’origine germanique » venait de naître, et avec quel brio ! L’objectif seul coûtait la bagatelle de plus de 1100 d'aujourd'hui [11] . En 1850, il s’était vendu plus de 8000 objectifs, et 60 000 en 1860. Parallèlement, il fut commercialisé un millier de chambres métalliques ...

 



[6] Verres dont la dispersion augmente proportionnellement à l‘indice.

[7] L’emploi d’un verre bleu fut préconisé, mais l’image, peu lumineuse d’origine, devenait pratiquement invisible.

[8] Baptisé Orthoscope, car il était sensé être corrigé de la distorsion. Il avait un groupe arrière divergent, ce qui a fait dire à plusieurs auteurs qu'il s'agit là du premier « télé-objectif » jamais inventé. Je pense qu Petzval aurait été bien étonné.

[9] Qui porte son nom. Elle reste encore aujourd’hui un bon indicateur de la qualité de planéité d’image.

[10] Manifestement, dans l’esprit des deux associés, il n’était destiné qu’à fonctionner à pleine ouverture, puisque l’ensemble avait été conçu pour raccourcir au maximum le temps d’exposition.

[11] Environ 120 florins (gulden) de l’époque.


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