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La démarche créative

Petzval était de nature méfiante et renfermée. Il ne commentait jamais ses inventions à qui que ce fut, et n’en divulguait que le strict nécessaire. Il est vrai que ses « aventures » commerciales l’avaient quelque peu échaudé. Deux ans après la vente inconsidérée de son objectif sans prise de brevet, il s’en fabriquait au moins autant de plagiés que de vrais !

Il possédait, comme beaucoup de ses collègues, un petit chalet aux alentours de Vienne. Il y passait les mois d’été, et le reste de l’année, y rangeait ses papiers d’archives. Cette maisonnette fut cambriolée en 1859 par des chenapans qui, ne trouvant rien à voler qui eut quelque valeur marchande, y mirent le feu par dépit. Les calculs partirent en fumés, avec d’autres travaux. Dépité, Petzval ne réécrivit évidemment jamais ces dossiers, ce qui fait que nous ne savons pas comment il aboutit avec tant de sûreté à son but du premier coup.

De très grands opticiens se penchèrent sur le problème sans le résoudre. Il serait outrecuidant d’envisager de faire mieux qu’eux.  Mais il est possible d’imaginer avec un peu de bon sens ce qu’aurait pu être sa démarche, même si l’exercice est gratuit, puisque nous ne connaissons pas les données de construction de l’objectif d’origine.

Les deux objectifs proposés en 1840 avaient, semble-t-il, le même doublet collé à l’avant, et des groupes arrières différents. Il est donc permis de penser que Petzval commença par dessiner un doublet achromatique stigmatique pour l’infini [12] , collé afin d’éviter au maximum les reflets et les pertes par réflexions vitreuses. Puis il plaça entre l’image et celui-ci un second doublet, lui aussi achromatique, mais destiné à améliorer les caractéristiques du premier tout en augmentant l’ouverture relative.

Comme l’explique J. Burcher, le premier doublet, situé loin du plan focal, gouverne surtout les aberrations d’ouverture, alors que le second, placé plus près du plan focal, agit surtout sur les aberrations de champ.

Un petit schéma peut illustrer trivialement ce concept. On supposera le diaphragme confondu avec la lentille frontale, comme dans l’objectif original de Petzval.

Figure 6 : Marche des rayons centraux

Dans la figure 6, on constate aisément que le diamètre utile du premier doublet est quasiment identique à son diamètre physique, tandis que le second n’utilise qu’une faible partie de son diamètre. On peut en déduire que l’ouverture relative du premier doublet sera plus importante que celle du second à longueurs focales égales. Ce seront donc les aberrations d’ouverture du premier doublet qui seront prépondérantes dans celles de l’objectif entier. On calculera le doublet frontal avec un minimum d’aberrations sphérique et de coma, sans trop se préoccuper du second doublet.

Figure 7 : Marche des rayons obliques méridiens

Dans la figure 7, les rayons obliques couvrent toujours le même diamètre du doublet frontal. Par contre, si le diamètre utile du second groupe est aussi toujours le même, la surface utile se trouve maintenant sur le bord des lentilles. On en conclura intuitivement que les aberrations extra-axiales seront bien plus influencées par le second dioptre que par le premier. Enfin, si les deux doublets sont achromatiques, l’ensemble le sera [13] .

Pour ajuster le système, on va agir sur le deuxième groupe, sachant que le premier est calculé correctement corrigé dès l’origine. Mais cela modifie tout, et il est évident qu’il faut retoucher le premier pour conserver une image de qualité. Ce faisant, le second doublet se trouve travailler autrement, et il faut recommencer... Heureusement, si les modifications sont bien conduites, les corrections convergent rapidement, jusqu’au moment où le calcul devient impuissant à prédire correctement le comportement réel de l’objectif.

Cela sous entend que les phénomènes mis en jeux sont bien compris. Manifestement Petzval avait fait une analyse mathématique relativement approfondie des aberrations en lentilles minces, même si c’était au prix d’hypothèses très simplificatrices [14] . Il semble de surcroît qu’il ait vérifié au fur et à mesure ses essais par des marches trigonométriques de rayons [15] . La somme de calculs algébriques et numériques était énorme, et l’aide d’une dizaine d’assistants calculateurs une nécessité au vu des délais impartis. Les aspirants officiers artilleurs qu'on lui avait confié pour ce faire n'ont pas dû s'ennuyer !



[12] Doublet dit de Clairaut.

[13] Mais non les variations chromatiques des aberrations du 3ème ordre et d'ordres supérieurs.

[14] Cf. la fameuse somme explicitée en note 9

[15] Marches méridiennes, bien évidemment.


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