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L’objectif original

Il n’existe plus, à notre connaissance, d’objectif de Petzval original. Mais de grands opticiens de la fin du XIXème siècle tentèrent de reconstituer cet ancêtre. La synthèse la plus correcte semble être celle de J. M. Eder en 1899  [20] , dont l’analyse des paramètres proposés dévoile un objectif très proche des descriptions des contemporains de Petzval : l’excellentes netteté centrale, la correction de l’astigmatisme, la quasi orthoscopie, mais aussi la forte courbure d’image, limitant l’angle de champ à une trentaine de degrés.

Voici la coupe, les aberrations du 3ème ordre et quelques images d’un point à l’infini dans différents plans d’image :

Figure 10 : Objectif à portrait de Petzval (reconstitution) [n°3]

Pour une optique de cette ouverture, l’aberration sphérique et la coma sont remarquablement corrigées, avec de très faibles zones. L’astigmatisme et la distorsion sont parfaitement maîtrisés. Par contre la courbure d’image est très forte, ainsi que le vignetage à pleine ouverture  [21] (l’objectif est éminemment épais).

La correction chromatique est bonne, autant qu’elle peut l’être avec des verres dits anciens  [22] , et les variations chromatiques de l’aberration sphériques sont annulées pour le bord de la pupille objet. Mais il est possible que cette dernière caractéristique soit plus dûe au talent de M. Eder avec un demi-siècle de recul qu'à l'intuition mathématisue de Petzval. L’objectif est corrigé pour le bleu, et même probablement pour le violet (raie g’), radiation à laquelle les sels d’argents tels l’iodure et le bromure, sont particulièrement sensibles.

La simulation géométrique des images d’un point à l’infini (images dites ponctuelles) confirme cette analyse. Elles sont bien rondes, quasiment exemptes d’auréole colorée, et leur diamètre croît régulièrement du centre vers le bord. Au centre, la meilleure mise au point est à 2f/1000 en avant de l’image paraxiale. En se déplaçant dans le champ, l’image se déforme et glisse en direction de l’objectif, en affectant une forme de croix, puis d’ovale aplati, caractéristique d’une correction incomplète de l’astigmatisme, ici tangentiel. À 15° de l’axe, dans le plan de l’image paraxiale, les images sont floues. Il faudrait beaucoup rapprocher la plaque pour obtenir une image à peu près correcte.

Pour un usage à grande ouverture et faible champ, l’objectif peut donc être considéré comme satisfaisant. De tout manière, pendant plus d’un demi-siècle, il n’existera rien d’autre de cette qualité avec une telle ouverture. Il sera reconduit quasiment à l’identique pendant des lustres, d’abord comme objectif à portrait, puis comme objectif de projection. Dans ce dernier usage, il perdurera plus d’un siècle et demi  [23]  !

Comment expliquer un tel engouement ? L’objectif servait essentiellement au portrait. Or dans cet exercice, l’objet n’est assurément pas plan, et n’est jamais placé à l’infini. Seul le décors peut s’y trouver, mais c’était rarement le cas au temps du daguerréotype et du collodion humide. La prise de vue se faisait le plus souvent en intérieur, devant un fond neutre, de manière à mettre en valeur le sujet  [24] . On travaillait à grande ouverture afin d’abréger le temps de pose, ce qui réduisait d’autant la profondeur de champ, déjà faible de par la longue focale employée. Bref, ce n’était que dans le cas du paysage et de la reproduction d’image que la courbure d’image devenait gênante. La quasi orthoscopie de l’objectif le destina temporairement à ces usages faute de mieux, en le diaphragmant beaucoup  [25] . Pour toutes ces raisons, l’objectif fut rapidement limité à l’usage en atelier.

Son utilisation en projection se justifiait par sa luminosité, bien utile en raison du faible rendement lumineux des lanternes. L’étroitesse du champ était compensée par un allongement de la focale, et un éloignement proportionnel de l’écran. Quand le cinéma réclama des appareils de projection performants, on se tourna naturellement vers cette formule, qui présentait de nombreux avantages pratiques. Notamment, le doublet non collé de l’arrière souffrait peu de la chaleur intense dégagée par la source d’éclairage. Il suffisait de légèrement cintrer l’écran pour parfaire la netteté sur tout le champ. Si le condenseur était bien réglé, le vignetage était inexistant. Cela joint au faible coût de fabrication explique un succès durable.



[20] J.-M. Eder : Das erste Petzval’sche Porträtobjektiv, Photographische correspondanz, 1899, T. XXXVI, p. 274, (cité par E. Turrière : Optique Industrielle, Paris, Delagrave 1920, p 118)

[21] Celui-ci varie bien sûr avec le champ couvert effectif. Par le calcul, il vaut au moins 20% sur les bords de l’image, et certainement plus dans la pratique en raison du diamètre réduit des lentilles.

[22] Crowns et flints dont la dispersion, l’indice et la densité croissent proportionnellement les uns aux autres.

[23] L ‘apparition conjointe du Cinémascope et des écrans géants obligera à concevoir des objectifs spéciaux à grand champ, dont Berthiot fut un des spécialistes en France, sans oublier l’Hypergonar d’H. Chrétien.

[24] Même s’ils sont faits au collodion humide, les portraits de Nadar et des Reutlinger sont encore caractéristiques de cette manière de faire.

[25] Petzval était conscient de ce défaut, et avait dessiné une autre formule à grand angle, moins ouverte, destinée au paysage. Elle est bien moins réussie. [n°174]


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